La relocalisation de la production automobile, souvent évoquée, est illusoire, écrit Claude Cham.
Mieux vaut réarmer notre appareil industriel en encourageant les activités à forte valeur ajoutée produites sur notre sol.
Reconquérir notre souveraineté nationale : s’adressant aux Français le 12 mars dernier, le chef de l’Etat avait, dès cette date, fixé le cap, qualifiant de « folie » le fait de « déléguer à d’autres notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie ». Dans son discours de politique générale, l’actuel Premier ministre reprenait à son compte cette ambition, confirmant que son gouvernement conduira « une relance constructive nous permettant de retrouver les voies de la souveraineté économique ».
Et cette antienne, effectivement, est au coeur du plan de relance annoncé récemment. Elle désigne un objectif parfaitement légitime, même si, appliqué au secteur automobile, le principe d’une « relocalisation » mérite sans doute qu’on s’y attarde.
Car de quoi parle-t-on ? D’un marché mondial que domine la Chine : pas seulement parce que celle-ci demeure un espace à bas coût, mais aussi et surtout parce que ses constructeurs se positionnent de plus en plus comme les « chefs d’orchestre » d’une mutation technologique majeure : l’avènement du moteur électrique.
Aujourd’hui, un moteur électrique sur deux vendus dans le monde est de fabrication chinoise. Dit autrement, pour un véhicule électrique dont la valeur est largement constituée par sa seule batterie, l’Empire céleste est en passe de prendre un avantage décisif puisqu’il fournit le reste de la planète, y compris ses principaux concurrents asiatiques.
Les industriels chinois sont ainsi faits : en retard dans la téléphonie, ils ne s’y étaient pas convertis en fabriquant des appareils à fil, mais en passant directement à la conception des modèles les plus sophistiqués. Le constat s’applique aujourd’hui aux voitures avec un objectif clair : définir la norme mondiale et obliger ainsi les autres pays à s’y soumettre.
Plutôt que de « relocaliser », la priorité serait donc plutôt de localiser en France les activités à fort potentiel de croissance de la chaîne de valeur pour les prochaines décennies (batteries, hydrogène, technologies pour le développement des véhicules connectés et autonomes…) et de renforcer ainsi puissamment notre appareil industriel afin qu’il dispose des forces indispensables face aux défis du temps présent. Nulle candeur dans ce propos : la France ne manque pas d’atouts avec un sens de l’innovation aiguisé, des personnels hautement qualifiés, un savoir-faire reconnu et une diversité territoriale adaptée aux phases expérimentales.
Reste que la révolution en cours nécessiterait un cadre plus favorable aux acteurs français : une fiscalité stable et adaptée – les taxes à la production représentent 3,6 % de la valeur ajoutée des entreprises en France, contre 0,5 % en Allemagne -, un dialogue social constructif et le refus de tout « dogmatisme stratégique ». Car disons-le sans ambages : l’avenir est ouvert.
Nul ne sait de façon certaine quel type de technologies il célébrera, de l’hydrogène au stockage par batterie. Gageons que le critère objectivé du bilan carbone permettra d’arbitrer entre différentes hypothèses. Une chose est claire en revanche : avec l’intelligence artificielle, les véhicules connectés ou autonomes, la mobilité des personnes et des biens dépendra des données. Oui, la data efface les frontières et donnera le « la » du futur industriel mondial. Qui maîtrisera de façon pérenne les technologies et les services associés à cet enjeu pourra contrôler la mobilité sur un territoire, une ville, un continent et peut-être même la planète…
C’est pourquoi la mobilité risque de s’assimiler peu à peu à une liberté fondamentale pour les peuples, désignant alors un défi devenu démocratique. On le voit : reconquérir notre « souveraineté » ne peut se résumer ici à un « rapatriement » illusoire, mais à une dynamique collective inédite pour réarmer notre appareil industriel et le confronter sans complexe à la nouvelle donne universelle.